PARIS EN MUSIQUE
Deux esprits libres, Vanessa et Martin. L’une est créatrice de mode, l’autre créateur d’images. Les deux sont des Bruno : une sœur et un frère, élevés au voyage, aux rencontres avec le monde, l’Amérique en premier. L’Amérique à travers laquelle ils flânent très jeunes. En famille... et en musique.
Bercés de mélodies locales – country, folk, rock, disco – ils se prennent de passion pour l’esprit « Americana » un style de vie où codes artistiques et codes sociaux se mêlent dans un long et raisonné dérèglement de tous les sens. De retour à Paris, très vite, et avant de faire des vêtements, Vanessa se mélange naturellement aux nouvelles scènes musicales parisiennes. Martin, lui, tandis qu’il découvre Paris sous un nouveau regard – il deviendra photographe – commence à arpenter les rues de Paris à la recherche de beauté... et de beaux livres.
L’une est curieuse, l’autre observateur, mais en fil rouge, tous deux battent le pavé parisien au rythme de musiques et d’ouvrages qui construisent leurs mœurs, accompagnent leur art. Flânerie, Paris, une musique en fond, un livre sur une table, toujours. Conversations musicales et littéraire avec Vanessa Bruno et Martin Bruno.
Découvrez l'art de la flânerie LA PLAYLIST FLÂNERIE DE VANESSA BRUNO
COMMENÇONS PAR LA MUSIQUE : QUELLE PLACE OCCUPE-T-ELLE DANS TA VIE ?
Tout commence avec ma mère, qui écoutait beaucoup de musique dans les années 60 : Carol King, Steely Dan, Neil Young et bien d'autres. Nous faisions souvent des road trips à travers les Etats-Unis à l'époque, et le côté Americana, songwriters outre-atlantique dominait nos goûts.
Mais nous n'étions pas limités. Je me souviens par exemple des débuts du disco, ou encore de Nashville dans le Tennessee. Au Grand Ole Opry, une salle de concerts mythique, on a vu Dolly Parton, et d'autres chanteurs de country. A New York, on écoutait des artistes comme Lou Reed. Durant notre adolescence à Paris, avec mon frère Martin, nous avons continué à acheter plein de disques. J'ai littéralement usé le 33 tours « Do ya think I'm sexy? », de Rod Stewart. Nous faisions beaucoup de concerts et je traînais avec beaucoup de musiciens. Des artistes comme Jacno ou les Stinky Toys, d’abord, puis des personnes que j’ai croisées au fil de l’eau : Françoise Hardy, Jacques Higelin, Taxi Driver... Air et Phoenix, aussi. On est alors dans les années 2000, j’assistais aux premiers concerts de ces groupes.
CES MUSICIENS ONT-ILS EU UNE INFLUENCE SUR TON TRAVAIL DE CRÉATRICE ?
Mon inspiration de mode vient, en grande partie, de tous ces groupes, de toutes ces personnes rencontrées. Je pense que j'ai été marquée par une génération qui avait une vraie connaissance du vêtement, et qui savait comment les associer. J'ai emprunté à tous ces genres de musiques. C'est pourquoi les concerts sont souvent les endroits les plus inspirants pour moi. Que ce soit à Paris, à New York, ou à Londres.
D’ailleurs, dans mes installations et mes présentations de presse, il y avait toujours un groupe qui venait jouer. Lors de mon 1er défilé, un groupe a joué en live, bien avant que d'autres marques le fassent. Sébastien Tellier a fait mon premier happening. Lou Doillon a aussi collaboré avec moi. J'avais pris Lou parce que justement, elle avait ce truc ''musicos'' et très ''femme française'', une sorte de parisienne anglo-saxonne. J'adore !
TON FRÈRE MARTIN A UNE IMPORTANCE CAPITALE DANS TON UNIVERS MUSICAL...
Je suis très musique et très famille. Ce qui veut dire que nous partageons régulièrement des morceaux qu'on aime bien. C'est notre façon de nous dire bonjour, de communiquer.
Mon frère a beaucoup de goût. C'est pourquoi l'associer à ce projet de playlist sonnait comme une évidence. LE THÈME DE LA SAISON CHEZ VANESSA BRUNO, C'EST LA FLÂNERIE. QUE T'ÉVOQUE CETTE NOTION ?
Pour moi, flâner, ce n'est pas lire un livre sur un banc, c'est plutôt une intention impressionniste : prendre mon vélo, partir avec en tête une destination, puis bifurquer, me laisser porter, aller voir un nouvel espace, une galerie, pour finalement déambuler dans une petite rue, dans un quartier, m’arrêter, visiter une brocante, une librairie ...
C’est ça pour moi flâner, en fait, c’est la liberté : c’est vraiment l’idée que tu pars sans te donner trop d’objectifs précis. Une sorte d’aventure qui me permet à la fois de couper avec mon rythme quotidien mais aussi de re- découvrir ma ville.
QU’Y A-T-IL DU COUP DANS CETTE PLAYLIST ?
On a pris le parti d’une playlist entièrement francophone, des balades qui évoquent une promenade à Paris, la littérature, les devantures de restaurants aux noms étranges. Des balades qui accompagnent une promenade rêveuse, qui te donnent envie de te poser à un café, ou boire un verre. On y retrouve un mélange de références mythiques comme Serge Gainsbourg, et de nouveautés comme Malik Djoudi. Il t’amène dans un univers et dans un rêve. Il est parfaitement dans le thème. Il y a aussi Nicolas Michaux, ou encore Lynn, qui propose quelque chose de soul et jazzy, mais en français. Il y a aussi Mathieu Boogaerts, Mr Giscard, Aupinard – qui est incroyable. Enfin de grands classiques comme Baschung, Taxi Girl, Feu ! Chatterton ou Nino Ferrer.
En fait, on a essayé de faire quelque chose qui soit pointu, mais facile à écouter. Au milieu de tout ça, il y a Tellier, et évidemment, on a mis Air, car ce sont de vrais souvenirs pour moi. On a voulu faire du populaire ultra-cool, transgénérationnel. Un truc qui traverse le temps, comme mes collections.
FLÂNERIE LITTERAIRE AVEC MARTIN BRUNO
TON OUVRAGE S’INTITULE ‘’PARIS EST UN LIVRE’’. QUE RACONTE CETTE DÉAMBULATION DANS LE GRAND PARIS LITTÉRAIRE ?
L’idée de ce livre est venue d’un ami, Alexis Margowski, qui est lui-même un grand amoureux des livres anciens. Il m’a proposé de faire ce projet avec lui. J’y pensais moi-même depuis un moment.
On a commencé par faire pas mal de vieilles librairies, notamment dans le quartier latin, autour du Luxembourg, où l’on trouve des librairies anciennes, des librairies indépendantes et également des gens qui ne vendent pas seulement des livres, mais aussi des recueils, des dessins autour de la poésie, autour du surréalisme, ou du mouvement Dada.
CE LIVRE EST UN PEU AUSSI UNE ÔDE À LA FLÂNERIE?
Notre ouvrage est vraiment une ode à Paris, et à la passion des Français, des Parisiens, pour le livre. C’est une balade beaucoup basée sur le statuaire dans Paris. La ville regorge de statues dédiées aux écrivains, aux poètes, aux philosophes : Montaigne, Verlaine, Rimbaud,... Les cafés de poésie également. Nous nous étions demandé si nous ne devions pas faire une sorte de carte de Paris, sur laquelle nous mettrions de petits points. C’est un peu ce que nous avons fait, mais en texte et en photos.
DONC C'EST UNE DÉCOUVERTE DE PARIS VIA UN PRISME BIBLIOPHILE...
Oui, avec les gens qui lisent dans Paris aussi. L'idée était également de photographier des gens qui lisent dans la ville, dans les parcs, dans le métro, de montrer vraiment le rapport que le Parisien entretient avec le livre.
Paris est une ville à livres. C'est, me semble-t-il, la ville au monde où il y a le plus de librairies indépendantes et spécialisées. Tu as des librairies consacrées à la philosophie, d'autres au Québec, à l’Afrique, ... Et puis tu as aussi tous ces écrivains qui ont décidé à une époque de venir écrire à Paris, comme Hemingway par exemple, et d'être édités par des éditeurs français.
EST-CE QUE TU AS VU, PUISQU'ON EST UN PEU AUTOUR DU THÈME DE LA FLÂNERIE,
DES GENS LIRE DANS DES CONTEXTES DIFFÉRENTS DE CEUX QUE L’ON PEUT IMAGINER ?
Dans un café ou un bar, il y a toujours des gens qui sont en train de lire quelque part. Il y a toujours quelqu'un dans un coin qui lit, qui arrive à se concentrer malgré le bruit qui l'entoure. Ils arrivent à se créer un cocon, une bulle. En fait, lire, c'est aussi un peu flâner intérieurement. C'est faire vagabonder sa pensée, en fait.
QU'AIMES-TU LIRE PERSONNELLEMENT ?
Beaucoup de géopolitique. Mais aussi la littérature des écrivains voyageurs : Sylvain Tesson, Nicolas Bouvier, Jack London.
Sinon j'aime beaucoup Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, François Sagan, Drieu la Rochelle. J'ai beaucoup lu le Feu Follet, parce que ce livre parle d'une personne qui est dans Paris, qui pourrait socialiser, sortir avec des gens, mais qui a un problème existentiel et qui ne peut plus vraiment, qui n'a plus goût à ça. Et donc qu'est ce qui lui reste ? Déambuler tout seul dans Paris la nuit, ou regarder par la fenêtre. Un aspect très mélancolique de la flânerie. Il y a le côté jouissif de la découverte, mais aussi le côté où tu poses ta réflexion sur ta vie, sur ta conscience. C'est aussi ça, la flânerie.
Découvrez l'art de la flânerie